Dans l’avenue qui contourne le centre-ville, tu sais, celle qui mène jusqu’aux docks et traverse tout le quartier sud... Celui où t’as pas intérêt à te balader tout seul après 19 heures. Là, coincé entre une droguerie douteuse tenue par des irlandais et un vieux hangar abandonné depuis des années où le cartel de Bull’s Eye stocke sa came, t’as un garage dont l’entrée est peinte en rouge vif. Ca s’appelle ‘Willy’s Shed’, c’est tenu par le vieux William Mills, un crâne rasé qui se prolonge en lunettes de soleil, puis en barbe, puis en un gros paquet de chair humaine aux mains noircies. L’enseigne du garage, elle clignote et elle est écrite comme si les mots se déplaçaient, tu sais, pour donner l’impression de vitesse. Le « h » est défectueux et le reste des lettres est un peu rouillé, tout comme la porte coulissante d’ailleurs. Elle reste toute la journée ouverte, forcément, mais si tu restes assez longtemps pour être là quand ils ferment, tu l’entends grincer comme c’est pas permis.
Willy, il a quatre employés, plus son fils qui bosse plus ou moins à la réception. Je dis « plus ou moins » pare que tu peux pas vraiment appeler ça une réception. En fait, c’est juste un bureau casé dans un coin avec un téléphone, un carnet remplis de griffonnages et un calendrier.
Le plus ancien des employés, c’est un type aussi grand que large qui parle pratiquement jamais. Il a un de ces visages qui te paraît incroyablement banal et que pourtant, tu reconnaîtrais entre mille. Je retiens jamais son nom, je sais que c’est un truc facile pourtant.
Les autres, je ne sais pas dans quel ordre ils sont arrivés. Il y en a un, ils l’appellent tous « Amigo » parce qu’il est mexicain. J’ai jamais entendu son vrai prénom. Lui, il a pas grand-chose de spécial, à part son accent et sa moustache. Le troisième, il a fait de la taule. C’est marrant parce qu’il a plutôt une gueule d’ange, blond aux yeux bleus… Enfin, il aurait une gueule d’ange s’il avait pas une cicatrice qui la lui traversait. Lui, c’est Ricky Weason. Je ne sais plus comment je le sais, mais je le sais.
Et le dernier, c’est lui que tu cherches. Grease. Drazenko Nioŝević de son vrai prénom. Je sais pas comment on est sensé prononcer ça. C’est Yougoslave, il paraît. Il a émigré il y a « environ dix ans », c’est ce qu’il dit quand il se présente. Ce gars, il a un truc qui impressionne. Je pense pas que ce soit sa carrure parce qu’il est pas particulièrement baraqué… Pas plus que ce qu’il faut pour serrer des boulons, en tout cas. Mais il a un truc dans le regard, je sais pas, t’as l’impression qu’il a pas besoin de parler pour se faire comprendre. Pas un truc glacial comme le taulard, d’ailleurs je crois bien qu’il a plutôt les yeux noirs, ou foncé du moins. Nan juste un truc qui te fait comprendre que si tu pouvais fermer ta gueule, ça lui ferait plaisir. Mais alors ramène pas ta nana avec toi. Parce qu’une fois, j’ai fait cette connerie et je peux te dire que j’ai bien failli la retrouver sur une banquette arrière avec ce p’tit vicelard, et pareil, tout avec les yeux.
Bon, en plus il est toujours là à arborer ses tatouages, il en est recouvert. Déjà, ses bras. Pas un millimètre qui est resté intact. T’as une pin-up ici, une moto là, des flammes, des têtes de mort, des écritures, des guitares électriques… Je crois qu’il se prend pour un rockeur incompris, ou un truc dans ce genre, avec ses cheveux gominés, ses bagues en métal et son éternelle cigarette.
Méfie-toi de lui. C’est pas franchement le mec le plus aimable que j’ai rencontré. Je sais qu’il s’est déjà acharné contre un gars jusqu’à ce qu’il tombe dans les pommes une fois, je ne sais plus trop pourquoi. Une histoire de vengeance familiale, je crois. Enfin bref, c’est pas un tendre, et ça se voit. Plutôt du genre à aller foutre le feu à ta baraque et à rentrer chez lui avec ta copine pour finir la soirée avec de la bière en caressant le cuir des sièges de sa bagnole. S’il en a une, d’ailleurs.

Il te doit du fric tu dis ? Bah vas-y mollo.